Parcoursup : au delà de l’algorithme, la tension entre démocratisation et méritocratie

Depuis les débats sur la loi « Orientation et Réussite des Etudiants » (ORE), la plateforme « Parcoursup » n’a cessé de susciter interrogations voire inquiétudes. A la veille de la rentrée universitaire, de nombreux lycéens sont encore sans propositions d’inscriptions et dans l’incertitude quant à la suite de leur parcours. Ce sont d’abord les bacheliers professionnels et technologiques qui sont livrés à eux-mêmes, refusés dans les filières courtes et sélectives, et sans garanties d’inscription à l’université.

Mais pour comprendre la vigueur des débats qui entoure Parcoursup, il faut aller au-delà du sujet de l’algorithme.

Il y a besoin de plus de transparence, c’est certain, notamment sur les critères que les établissements appliquent localement. Mais l’outil d’affectation pose en réalité moins de questions que la logique pour laquelle il est utilisé et la capacité du service public à accompagner tous les jeunes dans la réussite de leurs projets. Ce que Parcoursup révèle, c’est la tension entre démocratisation et méritocratie.

De fait, jamais les parcours qui ont permis d’élever le niveau de qualification n’ont remis en cause l’existence d’une voie, autour de laquelle s’organise depuis toujours la reproduction des élites. Ainsi chacun sait que le baccalauréat scientifique est le sésame de ceux qui auront les moyens financiers de poursuivre dans des filières dites prestigieuses.

C’est ainsi qu’au lieu de se démocratiser, le système scolaire organise la répartition sociale des jeunes, parfois très tôt si l’on regarde du côté des Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA), entre ceux issus des milieux plus aisés qui suivront majoritairement la voie générale puis sélective, et ceux qu’il faudra faire patienter dans d’autres formations, quand bien même ce ne serait pas leur choix. C’est ainsi également, que les procédures d’affectation qui appliquent toujours ces codes culturels dominants, sont vécues violemment par toute une partie de la jeunesse qui se sent dépossédée de la promesse d’ascension sociale qui lui était faite.

Il faut donc agir, au-delà des procédures d’affectation, et changer les processus qui conduisent à une orientation profondément inégalitaire. Pour cette raison, l’avis du CESE que nous avons rapporté « L’orientation des jeunes » s’est attaché à structurer ses propositions autour de trois axes : l’accompagnement des jeunes, les conditions d’un parcours choisi et l’insertion professionnelle dans le cadre de l’orientation tout au long de la vie.

Un choix d’orientation libre et éclairé est une condition de la réussite dans l’enseignement supérieur. Il importe donc de laisser à chaque jeune le dernier mot dans son choix d’orientation, en multipliant les expériences de découverte des univers professionnels, accompagné par un service public d’orientation renforcé. Les formations les plus demandées comme les DUT et BTS doivent augmenter leurs capacités d’accueil.

Afin de réduire la pression sur l’offre de formation, le CESE préconise le report de l’orientation en fin de seconde, le décloisonnement des enseignements, filières et voies de formation dont l’apprentissage. Il importe également, à travers la formation des formateurs et des jeunes, d’intégrer l’idée que la formation qualifiante relève désormais de la formation tout au long de la vie.

Il importe également de se dégager du stress lié à l’urgence caractéristique de notre système, qui impose des parcours dans un temps le plus réduit possible. Les périodes de césure, de choix, de re-choix sont essentielles et contribuent à la qualité de l’engagement des jeunes dans leur formation. Les temps d’interruption volontaires dans les parcours doivent donc être possibles, reconnus et valorisés.

Les acteurs de la société civile présents au CESE ont très largement validé ces propositions. C’est vrai, elles ne sont pas simples à prendre. Elles bousculent de nombreuses conceptions qui se sont forgées il y a longtemps dans la construction de notre modèle. Transformer structurellement l’éducation, c’est pourtant la condition grâce à laquelle une nouvelle étape de la démocratisation est possible. Cela nécessitera l’association de toutes les parties prenantes. Et il y a urgence.

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Commentaires

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2 commentaires
  • U46406
    24 septembre 2018
    Bonjour, vu sur le forum des classes prépas, un témoignage d'un contre-exemple : son bac techno lui a permis d’entrer à Centrale Lyon (une école d'ingénieur très sélective).
  • Théophile
    11 janvier 2019
    Je lis : " le baccalauréat scientifique est le sésame de ceux qui auront les moyens financiers de poursuivre dans des filières dites prestigieuses." Pourtant la science (et en particulier les mathématiques) est beaucoup moins "héritée du milieu" que la culture ou le comportement : si on veut retrouver un ascenseur social qui existait davantage à l'époque des trente glorieuses, il faut plutôt revaloriser les mathématiques. Par ailleurs je constate que les décideurs politiques et administratifs sont pour la plupart issus d'une culture Sciences po ou juridique, et assez ignares en sciences. C'est d'ailleurs un problème car le secteur public peine à se moderniser ou à rendre par exemple son organisation ou son système socialo fiscal efficaces ce qui suppose une plus grande maîtrise des sciences dures (informatique, économie quantitative...). En réalité, en comparaison avec d'autres pays (Allemagne, USA, Asie du SE...) le France a considérablement régressé en sciences et en mathématiques en particulier ce qui s'est traduit dans l'économie et notre balance commerciale.

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