La science peut-elle faire société ?

Dans une enquête « Les français et la recherche » réalisée fin 2019 par IPSOS, 90% des personnes interrogées disent avoir une bonne image de la recherche et lui faire confiance pour garantir le progrès. Ce que confirment nombre d’enquêtes qui montrent une confiance forte dans la science et ses résultats. Le CESE s’est saisi du sujet avec une étude intitulée « Sciences et société : les conditions du dialogue » que j’ai rapportée au nom de la Délégation à la Prospective et à l’évaluation des politiques publiques du CESE

ENTRE CERTITUDES ET DOUTES

Si presque tout le monde fait confiance à son GPS, le doute s’installe chez beaucoup lorsqu’il s’agit de nucléaire, d’OGM, de climat, voire de vaccination. Ces mêmes enquêtes montrent un soupçon croissant envers l’objectivité des scientifiques, leur indépendance ou leur capacité à s’extraire de leurs intérêts particuliers. Dès lors que les scientifiques sont convoqués comme experts dans des débats dont les enjeux sont politiques ou économiques et peuvent impacter nos vies, la défiance s’installe.

Je prends pour exemple les débats et les doutes lors de la pollution due à l’incendie de l’usine Lubrizol. A un moment où notre société est confrontée à des défis cruciaux, comme celui de la transition climatique et de la justice sociale, qui impliquent des décisions démocratiquement délibérées et acceptées, cette situation peut être source de légitimes inquiétudes.

Le débat démocratique nécessite non seulement un socle de valeurs partagées mais aussi la reconnaissance d’une réalité commune échappant aux préjugés et aux diverses visions du monde.

Faute de quoi peut s’installer cette fameuse « ère de la post vérité » où, au-delà de déformer la vérité ou mentir, les protagonistes contestent même le fait qu’il existe une vérité objective.

PAS SEULEMENT DE LA FAUTE A…

Il peut être tentant de chercher un coupable : la presse, les réseaux sociaux, le manque de culture scientifique, les religions, les conflits d’intérêts, la défiance généralisée envers les autorités… En fait, il n’existe pas de coupable idéal mais plutôt un faisceau de facteurs qui, combinés, concourent à semer le doute.

Cela tient aussi bien à l’insuffisance de la formation et de l’information scientifiques qu’au rôle des lobbies, aux scandales et drames bien connus, en passant par les manquements à l’intégrité scientifique, l’organisation de la recherche et ses faiblesses, l’instrumentalisation de la science par des forces politiques ou économiques, le développement d’internet et des réseaux sociaux…, la liste est longue et difficilement exhaustive.

…MAIS UNE CONSTRUCTION A PARTIR DE VOLONTÉS PUBLIQUES

Comme il n’y a pas de cause unique, il n’y a pas non plus de panacée mais un ensemble de pratiques et de politiques publiques à mettre en œuvre, non pas tant pour créer de la confiance que pour construire du commun autour et à partir de la science.

Une première condition renvoie à la responsabilité de ceux qui sont porteurs d’une parole publique et des scientifiques eux-mêmes : les premiers ont la double responsabilité de prendre en compte les apports de la science et de ne pas les instrumentaliser. Les seconds ont celle de communiquer sur leurs résultats en disant clairement d’où ils parlent, quels ont été leurs postulats et leur méthode, leur marge d’incertitude.

FORMATION, INTÉGRITÉ ET CITOYENNETÉ

Cette responsabilité ne relève pas directement de politiques publiques mais celles-ci sont essentielles pour contribuer à cette construction du commun. Je les regrouperais en trois axes.

Le premier repose sur la formation des jeunes, pour qu’au minimum tous y aient droit leur permettant ainsi de comprendre ce qu’est une démarche scientifique ; et sur la formation des futurs scientifiques eux-mêmes à la pensée critique et à la communication.

Le second axe implique de consolider un écosystème favorable à l’intégrité scientifique : déclaration d’intérêt, modalités d’évaluation de la recherche, transparence et indépendance des organismes, libre accès aux résultats de la recherche, financements publics de la recherche…

Le dernier n’en est pas moins essentiel : l’association des citoyens à la fois par le développement des recherches participatives, par la facilitation et la démocratisation de l’accès à l’expertise et par l’expérimentation du recours à des conventions de citoyens, notamment pour débattre des sujets scientifiques à enjeux sociaux et/ou politiques.

Il s’agit en fait des conditions à créer pour que les scientifiques, quel que soit leur domaine, puissent jouer tout le rôle qui doit être le leur dans une société démocratique. L’ensemble des membres de cette société doivent pouvoir s’appuyer efficacement sur les apports des sciences pour délibérer, faire des choix politiques, économiques, sociaux, environnementaux, et décider de leurs pratiques collectives ou individuelles.


« Sciences et société : les conditions du dialogue » étude rapportée par Gérard Aschiéri au nom de la Délégation à la Prospective et à l’évaluation des politiques publiques du CESE en janvier 2020

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